mon « grand » grand-oncle
charles ratton

Aux nombreuses questions d’historiens de l’art sur la personnalité de Charles Ratton, je ne peux pas dire grand-chose car je ne l’ai pas connu, mais ce que j’ai pu entendre dire dans ma famille, fut, qu’il était de petite taille et bien que très courtois, il avait un mauvais caractère légendaire. Son amour pour les Arts d’Afrique et d’Océanie fut inconditionnel et qu’il aimait cultiver le secret de sa collection.

En effet, mon père Philippe Ratton m’avait confirmé que le célèbre socleur japonais Inagaki se torturait parfois lorsqu’il travaillait pour Charles Ratton. Quand Il lui livrait les pièces qu’il devait socler, l’objet avait été entièrement recouvert de plusieurs couches de papier et de ruban adhésif ne laissant apparaître que les pieds de la statuette, car il ne supportait pas l’idée que quelqu’un puisse voir son objet, que lui seul avait le plaisir d’admirer.

Charles Ratton bien que discret partageait sa passion avec quelques maîtres artistes de l’époque. Récemment un de mes amis me conter les rendez-vous du XIXe siècle au Château de Nohant. Alexandre Dumas, Georges Sand, Franz Liszt, Victor Hugo, Eugène Delacroix s’y retrouvaient autour d’une table. Si un tel inventaire d’artistes célèbres semble improbable de nos jours. Charles Ratton au beau milieu du siècle dernier réunissait autour de lui ses amis Pablo Picasso, André Breton, Guillaume Apollinaire, Antony Wlaminck, Man Ray et Dubuffet, qui avait croqué son portrait.

C’est assez tôt que je me suis tourné vers l’Art Primitif. Je peux aussi prétendre avoir appris à lire en même que je découvrais les statuettes Bas-Congo de la collection Charles Ratton. J’ai grandi parmi ces objets; je les vus, touchés et appréciés un par un. Ils m’ont permis de voir, de penser et de comprendre leur beauté intérieure ainsi que leur plasticité.

Mon père m’en parlait comme d’un trésor, et de temps à autre il ramenait à la maison une pièce de cette immense collection. Cette initiation aux arts tribaux passait inéluctablement par la visite des musées le dimanche. En l’an 2000, tout juste âgé de 10 ans, ce fut l’inauguration du Pavillon des Sessions au Louvre; à titre posthume une véritable victoire pour mon grand oncle car avant de disparaître en 1986, il avait proposé d’y léguer sa collection. Le Louvre en réponse à sa proposition lui avait déclaré que jamais aucune pièce d’Art Nègre n’y rentrerait.

Dans de nombreuses familles il existe une forme d’héritage spirituel qui engendre un véritable fil conducteur entre les générations. Chez les Ratton, c’est l’Art Tribal qui constitue notre chemin de vie.

A présent parcourant le monde à la recherche de ces merveilles historiques, étant moi-même marchand, je vois des milliers d’objets tout au long de l’année. Très rarement, il m’arrive d’éprouver l’émotion, le frisson et l’ivresse de me retrouver en face d’un chef d’œuvre, mais quand par chance cela se produit, j’ai toujours une pensée pour mon grand oncle Charles Ratton, et je lui chuchote affectueusement :
“Cet objet est digne de ta collection, sans doute si tu l’avais vu tu l’aurais acquis”