" Exposition "L'art des Lega, secrets d'Ivoire"
Musee du Quai Branly "
PAR ELSA MIMRAM - Janvier 2014
L'exposition sur les ivoires Lega, actuellement au Musée du Quai Branly, présente la collection du physicien Jay T. Last, l'un des inventeurs de la puce électronique. Cette collection d'ivoires, dont certains montrent le goût du collectionneur pour le miniature, a été rassemblée depuis les années 1960. Cet ensemble homogène est conservé au Fowler Museum d'UCLA.
Le Musée du Quai Branly avait d'ailleurs déjà collaboré avec le Fowler Museum en présentant, à la fin de l'année dernière, l'exposition sur les arts de la vallée de la Bénoué.
Cette très importante collection d'ivoires (mais aussi d'objets en bois) Léga est celle d'un esthète, mais également d'un scientifique, ce qui se ressent dans le parti pris muséographique. Les objets sont en effet exposés en série, ce qui, tout en permettant une lecture « simplifiée » de cet ensemble d'objets, reflète une mise en scène ethnocentrée, qui était à l'origine liée au choix du collectionneur.
On apprend en effet dès le début de l'exposition que ces sculptures, indissociable de la confrérie initiatique et semi secrète du Bwami fonctionnent par ensembles (et non par séries, comme elles sont exposées). Elles sont les supports tangibles qui matérialisent des « phrases visuelles », sortes de rébus d'apprentissage qui permettent aux membres de cette confrérie, soit la quasi totalité des Léga jusqu'au début du XXème siècle, à un grade plus ou moins avancé, d'enseigner et se souvenir de leçons de morale et d'éthique.
Le Musée du Quai Branly avait d'ailleurs déjà collaboré avec le Fowler Museum en présentant, à la fin de l'année dernière, l'exposition sur les arts de la vallée de la Bénoué.
Cette très importante collection d'ivoires (mais aussi d'objets en bois) Léga est celle d'un esthète, mais également d'un scientifique, ce qui se ressent dans le parti pris muséographique. Les objets sont en effet exposés en série, ce qui, tout en permettant une lecture « simplifiée » de cet ensemble d'objets, reflète une mise en scène ethnocentrée, qui était à l'origine liée au choix du collectionneur.
On apprend en effet dès le début de l'exposition que ces sculptures, indissociable de la confrérie initiatique et semi secrète du Bwami fonctionnent par ensembles (et non par séries, comme elles sont exposées). Elles sont les supports tangibles qui matérialisent des « phrases visuelles », sortes de rébus d'apprentissage qui permettent aux membres de cette confrérie, soit la quasi totalité des Léga jusqu'au début du XXème siècle, à un grade plus ou moins avancé, d'enseigner et se souvenir de leçons de morale et d'éthique.
« Ceux qui souffrent de vertige n’atteignent jamais la cime des arbres, ils redescendent au premier embranchement »
Proverbe Léga
L'exposition a tendance à proposer une vision essentialisée de la culture Léga, présentée comme totalement isolée des influences extérieures et sous un seul des ses aspects, le Bwami. C'est d'ailleurs une limite que le musée lui-même reconnaît. Les textes d'Elisabeth Cameron indiquent clairement que les influences de la colonisation sur différents aspects culturels Léga étant mal connus, et la situation politique au Congo n'ayant pas permis, à la fin du XXème siècle, de mener à bien des travaux de recherche anthropologique comme il est plus facile de le faire en temps de paix.
Il semble en effet étonnant d'envisager une culture en vase clos ; même si cette dernière vivait dans une zone forestière et montagneuse, entrecoupée de rivières et difficile d'accès, comme l'étaient les Léga.
On remarque par exemple une récurrence de style qui ne semble pas fortuite, comme c’est le cas du point encerclé, marque corporelle que l’on retrouve notamment chez les Pendé.
Il semble en effet étonnant d'envisager une culture en vase clos ; même si cette dernière vivait dans une zone forestière et montagneuse, entrecoupée de rivières et difficile d'accès, comme l'étaient les Léga.
On remarque par exemple une récurrence de style qui ne semble pas fortuite, comme c’est le cas du point encerclé, marque corporelle que l’on retrouve notamment chez les Pendé.
Récurrence du signe
Les Léga n’étant pas situés au bord de l’océan, ils échangeaient avec les peuples voisins. C’est également ce que montre la présence de cauris dans de nombreuses sculptures.
Emblèmes du principe féminin, les cauris étaient des symboles de fertilité liés aux récoltes et aux rites agraires. Ils permettaient également de se prémunir des forces nocives et du mauvais sort lorsqu’ils étaient portés en amulettes.
Les cauris sont à la fois une monnaie d’échange, et l’un des symboles par excellence du Bwami.
Emblèmes du principe féminin, les cauris étaient des symboles de fertilité liés aux récoltes et aux rites agraires. Ils permettaient également de se prémunir des forces nocives et du mauvais sort lorsqu’ils étaient portés en amulettes.
Les cauris sont à la fois une monnaie d’échange, et l’un des symboles par excellence du Bwami.
« Le chef de la maison des hommes, le gardien, n’a pas d’yeux »
Proverbe Léga
La patine serait l'un des seuls critères « esthétiques » chez les Léga puisqu'ils valorisent l'ancienneté de l'objet. C'est un critère commun à ceux développés en occident autour des arts premiers, puisque la patine est le garant de la valeur rituelle et d'ancienneté de l'objet mais également de son unicité et de son attrait. Cette patine propre aux ivoires Léga, était obtenue par une onction d'huiles et de poudre rouge avant les rites.
Chez les Léga, le prestige n'est pas celui des chefs, la royauté sacrée étant une caractéristique commune à un grand nombre d'ethnies africaines, ni celui de l'au-delà, mais bien un prestige hic et nunc, lié à la façon dont un individu développe des valeurs morales et gravit les échelons du Bwami. Le Bwami est tout d'abord un système de régulation économique et de redistribution des richesses. Pour obtenir le prestige lié à un rang élevé dans le Bwami, l'individu doit suivre l'enseignement initiatique qui lui demande, à chaque étape, de se séparer de ses richesses pour en payer le prix. Au sein de ce système de partage qui permet une régulation sociale, le gain obtenu n'est pas matériel mais moral, et symbolisé par un objet de prestige.
Ce qui nous amène à un questionnement pragmatique qui a ses répercussions sur le système même du Bwami, présenté de façon idyllique : qui arrive à se procurer cet ensemble de richesses, et de quelle façon ?
En effet, pour une société de chasseurs-cueilleurs, il semble que l'apport en richesses sera également le fruit d'un travail nécessitant habileté et force physique. Ou bien pouvait il en être autrement (par dons d'autres membres de la communauté par exemple) ?
Le Bwami est également le garant d'une autre forme d'égalité, intersexe, puisqu'un mari ne peut s'élever dans les grades du Bwami tant qu'au moins l'une de ses femmes ne s'est pas autant élevée que lui.
Chez les Léga, le prestige n'est pas celui des chefs, la royauté sacrée étant une caractéristique commune à un grand nombre d'ethnies africaines, ni celui de l'au-delà, mais bien un prestige hic et nunc, lié à la façon dont un individu développe des valeurs morales et gravit les échelons du Bwami. Le Bwami est tout d'abord un système de régulation économique et de redistribution des richesses. Pour obtenir le prestige lié à un rang élevé dans le Bwami, l'individu doit suivre l'enseignement initiatique qui lui demande, à chaque étape, de se séparer de ses richesses pour en payer le prix. Au sein de ce système de partage qui permet une régulation sociale, le gain obtenu n'est pas matériel mais moral, et symbolisé par un objet de prestige.
Ce qui nous amène à un questionnement pragmatique qui a ses répercussions sur le système même du Bwami, présenté de façon idyllique : qui arrive à se procurer cet ensemble de richesses, et de quelle façon ?
En effet, pour une société de chasseurs-cueilleurs, il semble que l'apport en richesses sera également le fruit d'un travail nécessitant habileté et force physique. Ou bien pouvait il en être autrement (par dons d'autres membres de la communauté par exemple) ?
Le Bwami est également le garant d'une autre forme d'égalité, intersexe, puisqu'un mari ne peut s'élever dans les grades du Bwami tant qu'au moins l'une de ses femmes ne s'est pas autant élevée que lui.
La présentation sérielle de la collection de Jay T. Last nous permet de nous interroger sur notre appréhension des codes esthétiques Léga ainsi que sur un certain nombre de codes moraux, proverbialement présentés.
Notre regard a été habitué par les apports des avant-gardes européennes à une forme d'abstraction, une association d’idées au travers des formes. On peut voir dans les objets rituels Léga une inspiration, des similitudes.
En 1936, Charles Ratton présentait « L’Exposition surréaliste d’objets » avec des œuvres de Duchamp, Dali, Bellmer, Oppenheim, Breton et Magritte
Notre regard a été habitué par les apports des avant-gardes européennes à une forme d'abstraction, une association d’idées au travers des formes. On peut voir dans les objets rituels Léga une inspiration, des similitudes.
En 1936, Charles Ratton présentait « L’Exposition surréaliste d’objets » avec des œuvres de Duchamp, Dali, Bellmer, Oppenheim, Breton et Magritte
Elsa Mimram
« L'art des Lega, secrets d'Ivoire », une exposition jusqu’au 22 janvier 2014 au Musée du Quai Branly.